Résumé. Le récit d’Italo Calvino Un signe dans l’espace (Cosmicomics, 1965) est un mythe de fondation du premier signe de l’univers : un dia- logue entre le protagoniste, Qfwfq, et les lecteurs, détermine le signe en tant qu’« intentionnel », « individuel », « vrai », « univoque ». À partir de cette instauration, le récit prend l’aspect d’un discours historique visant la re-conjonction avec le signe tracé tout le long du temps : deux cents millions d’années, après une révolution complète de la Galaxie. Une directionnalité protensive, du présent de la fondation aux événements à venir, transforme l’histoire en un mythe projectif qui finit par détruire le mythe fondatif. La certitude d’une forme crue et nue, d’une « empreinte impossible à confondre », « immobile » et ancrée dans l’espace laisse la place à des doutes sur sa consistance et subsistance, jusqu’au soupçon de l’avoir oublié et de ne pouvoir le concevoir que comme « des fragments de signes interchangeables entre eux, à l’intérieur du signe ». Cette pré- monition s’avère lors de l’anagnorisis, quand Qfwfq retrouve sa propre trace contrefaite, biffée par celle d’un autre, Kgwgk. Cela conduit à une bataille de ratures allographiques et autographiques, où l’identité se révè- le être fonction de l’altérité : le « je » est dans l’autre qui efface nos propres traces ou dans l’autre soi (soi-ipse), qui efface les siennes propres (soi- idem). La parodie, démystifiant l’idéologie sémiotique du signe en tant qu’unité isolée et produite par un acte individuel – aliquid pro aliquo dans une chaîne de renvois horizontaux – ouvre les yeux sur la morphologie interne de la trace, verticale: temporalisée, plurielle, participante et stra- tifiée d’autant plus que stratégique. Un signe dans l’espace est ainsi un Gedankenexperiment pour repenser l’histoire du signe et reconnaître soit son épaisseur temporelle soit son « être toujours un objet de valeur » pour quelqu’un. Dans ce sens il nous aide à revenir sur la sémiotique de Paolo Fabbri. Car il croise heureusement quelques un des ses arguments solides : I] le dépassement de la notion du renvoi signique vers le concept de « processus de signification » : « poros », « tecmor » et « segnatura » ; II] la dimension passionnelle corrélée à l’action ; III] l’agonistique du sens ; IV] l’hypothèse d’une figurativité du contenu inscrite dans les langages, ce qui permet une traduction efficace du visible dans la verbalité ; V] la valence des valeurs ; VI] la portée phénoménologique de la théorie narra- tive : Fabbri ne qualifie jamais un récit de « fiction » ou de « fictif », distin- gué par rapport à « la réalité », mais il saisit la narrativité comme étant la modalité dynamique de constitution et de transformation du sens.

Italo Calvino. L’histoire du signe comme « segnatura »

tiziana migliore
2019

Abstract

Résumé. Le récit d’Italo Calvino Un signe dans l’espace (Cosmicomics, 1965) est un mythe de fondation du premier signe de l’univers : un dia- logue entre le protagoniste, Qfwfq, et les lecteurs, détermine le signe en tant qu’« intentionnel », « individuel », « vrai », « univoque ». À partir de cette instauration, le récit prend l’aspect d’un discours historique visant la re-conjonction avec le signe tracé tout le long du temps : deux cents millions d’années, après une révolution complète de la Galaxie. Une directionnalité protensive, du présent de la fondation aux événements à venir, transforme l’histoire en un mythe projectif qui finit par détruire le mythe fondatif. La certitude d’une forme crue et nue, d’une « empreinte impossible à confondre », « immobile » et ancrée dans l’espace laisse la place à des doutes sur sa consistance et subsistance, jusqu’au soupçon de l’avoir oublié et de ne pouvoir le concevoir que comme « des fragments de signes interchangeables entre eux, à l’intérieur du signe ». Cette pré- monition s’avère lors de l’anagnorisis, quand Qfwfq retrouve sa propre trace contrefaite, biffée par celle d’un autre, Kgwgk. Cela conduit à une bataille de ratures allographiques et autographiques, où l’identité se révè- le être fonction de l’altérité : le « je » est dans l’autre qui efface nos propres traces ou dans l’autre soi (soi-ipse), qui efface les siennes propres (soi- idem). La parodie, démystifiant l’idéologie sémiotique du signe en tant qu’unité isolée et produite par un acte individuel – aliquid pro aliquo dans une chaîne de renvois horizontaux – ouvre les yeux sur la morphologie interne de la trace, verticale: temporalisée, plurielle, participante et stra- tifiée d’autant plus que stratégique. Un signe dans l’espace est ainsi un Gedankenexperiment pour repenser l’histoire du signe et reconnaître soit son épaisseur temporelle soit son « être toujours un objet de valeur » pour quelqu’un. Dans ce sens il nous aide à revenir sur la sémiotique de Paolo Fabbri. Car il croise heureusement quelques un des ses arguments solides : I] le dépassement de la notion du renvoi signique vers le concept de « processus de signification » : « poros », « tecmor » et « segnatura » ; II] la dimension passionnelle corrélée à l’action ; III] l’agonistique du sens ; IV] l’hypothèse d’une figurativité du contenu inscrite dans les langages, ce qui permet une traduction efficace du visible dans la verbalité ; V] la valence des valeurs ; VI] la portée phénoménologique de la théorie narra- tive : Fabbri ne qualifie jamais un récit de « fiction » ou de « fictif », distin- gué par rapport à « la réalité », mais il saisit la narrativité comme étant la modalité dynamique de constitution et de transformation du sens.
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Utilizza questo identificativo per citare o creare un link a questo documento: https://hdl.handle.net/11576/2681974
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